Comment un jeune gambien a tout risqué pour aller à l’aventure

Comment un jeune gambien a tout risqué pour aller à l’aventure

Dans notre série de lettres de journalistes africains, Ismail Einashe tente de découvrir ce qui a poussé un jeune gambien à risquer sa vie pour tenter l’aventure en Europe.

Depuis que la « crise des migrants » a fait la une des journaux en 2015, j’ai passé du temps dans le sud de l’Italie à écouter les histoires de jeunes migrants qui ont survécu à la migration vers le nord, aux trafiquants d’êtres humains, à la torture, à la guerre civile libyenne et aux dangereuses traversées de la Méditerranée pour rejoindre l’Italie.

La plupart ont entre 15 et 19 ans et viennent d’Afrique de l’Ouest, des Nigérians, Ivoiriens et Sénégalais.

Beaucoup viennent aussi de Gambie, le plus petit pays d’Afrique continentale.

Après tant d’années à écouter les histoires des jeunes Gambiens, j’ai décidé de me rendre en Gambie. Je veux rencontrer les familles, les amis, visiter les endroits qu’ils appelaient chez eux.

Je veux en particulier transmettre le message de Babucarr Bojang, un jeune gambien que j’ai interviewé en Italie et qui porte le surnom de « Taka ».

J’ai pris des photos et des messages pour la famille qu’il avait laissée derrière lui. Cela fait des années qu’il n’avait pas vu sa famille.

J’ai rencontré Taka pour la première fois quand il avait 17 ans, un après-midi humide de juin à Palerme en 2016.

Il avait survécu à un voyage épouvantable et est arrivé en Sicile à bord d’un canot pneumatique.

Pendant ces premiers jours à Palerme, Babucarr Bojang se promenait avec un grand sourire, parce que pour un Gambien, être en Europe, c’était un réel succès.

Je suis resté en contact avec Taka au fil des ans alors qu’il apprenait l’italien à Palerme, essayant de survivre au cycle de l’ennui, de l’isolement, du chômage qui définit la vie de nombreux jeunes migrants africains.

Festin de poissons
Je suis arrivé par un après-midi humide à Tujereng, dans l’ouest de la Gambie, pour rencontrer la famille de Taka.

Son frère aîné Lamin Bojang s’était arrangé pour qu’un taxi vienne me chercher à Serekunda, la plus grande zone urbaine du pays.

Nous avons roulé pendant une heure après la verdure luxuriante, avant d’arriver dans cette petite ville, où vit la grande famille de Taka, qui m’a accueilli comme un fils prodigue.

Lamin m’a raconté comment Taka a été attiré en Europe par des trafiquants locaux.

Taka n’avait dit à personne qu’il avait l’intention d’aller en Europe. Il n’appelait sa famille que lorsqu’il avait besoin d’argent pour payer ses trafiquants.

J’ai découvert un pays ami, pauvre et très certainement pas un pays pour les jeunes, qui y ont très peu d’opportunités. L’attrait de l’Europe, le continent des « nantis », est puissant.

La nature de Facebook est telle que ceux qui se sont rendus en Europe affichent principalement des images d’eux-mêmes en train de profiter de la vie, montrant rarement les difficultés qu’ils rencontrent. Cela incite souvent leurs amis à risquer la mort pour goûter à un tel succès.

La mère de Taka a été émue quand elle m’a vue. Elle m’a serré dans ses bras et m’a serré la main.

Elle a dit que me serrer dans ses bras, c’était comme toucher le fils qu’elle n’avait pas vu depuis des années.

J’ai passé la journée avec sa famille chez eux, à manger un copieux repas de poisson et à boire des sodas froids.

Son père était assis sur une chaise à côté de moi avec des chapelets dans ses mains, en murmurant des prières coraniques.

Je leur ai montré les photos que j’avais prises de Taka à Palerme. J’avais aussi fait des enregistrements de lui et je les ai partagés avec ses frères et sœurs plus jeunes, qui étaient hypnotisés.

Je leur ai dit qu’il voulait que je dise qu’il était heureux et en sécurité en Europe.

Lamin m’a pris à part et m’a dit de m’occuper de son frère.

Tous les mois, je reçois un message WhatsApp de Lamin me disant de donner de  » bons conseils  » à Taka.

Effrayé et bouleversé
Je suis retourné en Europe, impatient de parler à Taka de sa famille avec des photos et des enregistrements que sa famille avait faits pour lui.

Nous avions prévu de nous rencontrer à Palerme. Mais il n’était plus venu.

Il avait disparu du refuge où il vivait. J’étais inquiet. Je n’arrêtais pas d’appeler son téléphone, mais pas de réponse.

Quelques jours plus tard, j’ai reçu un appel d’un numéro non reconnu de Malte.

La ligne était instable. Taka m’a dit qu’après avoir passé des années dans les limbes en Sicile, il en avait assez et avait décidé de partir.

Taka m’a dit que la vie en Sicile était difficile parce qu’il n’arrivait pas à trouver du travail et quand il a finalement obtenu ses papiers d’immigration en Italie, il a pensé que la meilleure chose qu’il pouvait faire était de partir à Malte pour chercher du travail.

Il a rencontré un homme qui l’a aidé à obtenir un billet de Palerme à Malte et lui a promis un emploi.

Mais une fois là-bas, l’homme a disparu. Il n’avait nulle part où aller.

Il semblait effrayé et bouleversé quand je lui ai parlé. Il était maintenant sans abri, une fois de plus bloqué dans un nouveau pays.

Au lieu de lui donner les informations que j’avais recueillies sur sa famille, j’ai téléphoné frénétiquement à une organisation caritative catholique à La Valette, la capitale de Malte, pour lui trouver une chambre pour la nuit.

Finalement, il a été recueilli et hébergé par l’association.

Le pari est gagné pour Taka, qui travaille maintenant dans un restaurant.

Il m’a récemment envoyé quelques photos de lui dans la cuisine du restaurant où il travaille à couper des légumes, l’air heureux et même arborant une nouvelle coiffure avec des dreads courts.

Taka a pris le risque de quitter la Sicile où les emplois sont rares, même pour la population locale.

Néanmoins, il a appris les dangers qui guettent les jeunes Gambiens en Europe.

Avant mon départ pour la Gambie, il m’a dit d’informer les jeunes Gambiens de ces risques pour dissiper leur image idyllique de ce que serait l’Europe.

En fin de compte, j’ai réussi à partager les images, les histoires que j’avais recueillies sur sa famille en Gambie via WhatsApp, bien qu’à ce jour nous ne nous soyons pas rencontrés en personne. Mais j’espère visiter bientôt Taka à Malte.

 

BBC.com

 

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