Les migrations sont-elles encouragées par les téléphones intelligents?

Les migrations sont-elles encouragées par les téléphones intelligents?

Photo: Marcos Moreno Agence France-Presse Les téléphones intelligents vont conduire les migrants embarqués sur des routes incertaines, voire corriger leur itinéraire.

 

Les Chinois auraient inventé la première boussole, les États-Uniens, le téléphone intelligent. L’une et l’autre sont de puissants instruments de navigation. La première avec une aiguille magnétisée. Le second avec un logiciel de géolocalisation. La première a lancé bien des navigateurs à l’aventure. Le second aide les migrants à se créer un avenir.

Autrefois, le Nord était magnétique. Aujourd’hui, pour des millions de personnes, il est économique. La promesse d’être orienté, non pas vers l’abîme, mais vers l’avenir. Un avenir ou un futur impensé, mais des lieux que certains géographes appellent encore « le Nord ».

La première question souvent posée, jamais vraiment résolue : les migrations actuelles auraient-elles pu avoir lieu sans les téléphones intelligents ? Sans l’image télévisuelle, relayée par des informations transmises sur ces objets guère plus gros qu’une boussole ? Et qui font figure de « boussole », grâce au GPS.

Téléphone humanitaire

Dans les contrées d’Afghanistan, de Syrie, d’Afrique subsaharienne où les populations souffrent, les téléphones intelligents donnent des informations sur un ailleurs imaginé à partir des images transmises. Ces images, il faut les relier à une famille ou à un groupe qui vous désigne pour partir, parce que vous êtes jeune, malin et avez peut-être envie de quitter le pays. Il faut les relier à des passeurs qui vous embarquent sur des routes incertaines où le téléphone va conduire, corriger le trajet et amplifier le désir d’arriver. Il faut les relier aux familles restées sur place à informer sur le voyage. Des ONG comme Télécoms sans frontières (TSF) oeuvrent depuis plus de vingt ans dans plus de 70 pays à équiper des populations coincées au milieu des guerres ou des catastrophes. En 2015, elle est venue en aide à une partie des 900 000 réfugiés arrivés en Europe cette année-là dans deux centres : Gevgelija, à la frontière grecque de la Macédoine, et Prelsevo, en Serbie.

La téléphonie humanitaire sécurise, donc, la vie des réfugiés, les renseigne sur les politiques d’accueil, les monnaies, le coût des trajets en bus pour éviter les arnaques, les lieux pour s’enregistrer, se loger, se laver, prendre un train, connaître les procédures juridiques.

Interprète de poche

Avec l’intelligence artificielle, le téléphone devient un outil d’émancipation vis-à-vis de l’aide sociale. Les logiciels de traduction permettent aux migrants qui ne connaissent pas les langues de progresser vers l’Angleterre : ceux qui passaient par les Balkans il y a quelques années, sans déchiffrer l’écriture cyrillique de Прешево (Preševo) savaient qu’ils auraient de l’aide à quelques kilomètres de Skopje. Ces mêmes applications permettent aussi aux Syriens nombreux à se rendre en Allemagne sans en connaître le moindre mot. Les fondations d’entreprise (elles ne communiquent pas sur ces dons) financent souvent des lieux équipés de wifi, des bornes publiques, des cartes SIM peu coûteuses pour trouver sa route. Et surtout à destination des migrants.

L’alimentation et l’habillement restent les priorités établies par les associations qui accueillent les migrants. Mais à France Terre d’asile, on ne considérait pas jusqu’à récemment qu’Internet était « la première urgence ». Les choses bougent. L’accès à la bibliothèque du centre Pompidou à Paris équipée de wifi gratuit permet à des milliers de réfugiés de trouver des connexions gratuites, tout comme les parcs publics.

Enfin, le téléphone est un outil assez complexe pour certaines populations (Afghans, Soudanais) moins bien formées et peu au fait du numérique. Les étrangers isolés, parfois abandonnés et livrés à eux-mêmes, gardent leur téléphone comme le seul lien tangible avec le pays d’origine. Skype et les applications d’appel VoIP sont autant d’outils pour sortir ceux qui sont dans la nasse.

Dans la Chine ancienne, Wang Xu est le premier auteur (à peu près à l’époque d’Aristote) dans le Livre du maître de la vallée du diable (鬼谷子) à écrire que « la magnétite fait venir le fer à elle ». Elle a conduit des milliers de voyageurs et d’aventuriers. Dans le monde contemporain, le téléphone fait venir les lieux à soi. Comme la boussole autrefois. Qu’on soit touriste ou migrant.

 

LEDEVOIR.com

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