Ces grandes dames qui ont fait l’Afrique

Reines, prophétesses, résistantes… Quantité de femmes ont marqué de leur empreinte, au pouvoir ou dans l’ombre, l’histoire du continent.

Elles s’appelaient Zingha, Yennega, Nandi, Ndete, Pokou… Elles portaient l’espoir des peuples, soulevaient des foules, lançaient des armées à l’assaut d’ennemis redoutables, connaissaient les méandres de la politique et du pouvoir. Elles, ce sont les grandes figures du continent noir, reines, prophétesses, maîtresses ou esclaves marronnes, dont le souvenir a été pris dans les rets de l’Histoire. Lentement, inexorablement, ces femmes ont été oubliées.

  

Trois livres, parus coup sur coup, ont réparé cette injustice. Véronique Tadjo a choisi de revisiter, dans un texte court et incisif, un mythe baoulé. Si Reine Pokou s’inscrit dans le parcours romanesque de l’auteur franco-ivoirienne, les deux autres ouvrages marquent une démarche pour la reconquête de la mémoire d’une Afrique belle, conquérante et battante.

Dans Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, Sylvia Serbin s’attache à faire découvrir trente femmes, d’Anne Zingha, qui a dominé l’histoire de l’Angola au XVIIe siècle, à Yennega, l’amazone des Mossis, en passant par Néfertiti, belle et intrigante femme d’Akhenaton, ou encore la Kahina, reine des Aurès. L’auteur ne se contente pas de dresser le portrait de ces femmes, elle reconstruit le paysage des sociétés dans lesquelles elles évoluaient : traditions, mœurs, contexte politique, mais aussi l’étoffe d’une robe, la douceur d’un sein, le tombé des reins, le bleu du ciel. « Je voulais rappeler, par des faits historiques, que les sociétés africaines étaient organisées, politisées, vivantes, tout simplement », dit Sylvia Serbin, journaliste et historienne née au Sénégal de parents antillais.

Grande bourlingueuse devant l’Éternel, élue municipale en banlieue parisienne, elle a amassé, tout au long de sa carrière, témoignages et récits sur des figures féminines africaines. Elle a, pour son métier de journaliste et sa formation d’historienne, fouillé les archives, décortiqué des textes, parlé aux vieux dans des villages, réalise des émissions radiophoniques sur ces héroïnes. Mais l’idée du livre lui vient de sa fille. « Nous étions allées voir le film Pocahontas. À la fin de la séance, ma fille m’a demandé : « Comment se fait-il que tous les autres pays aient des femmes célèbres et pas les gens comme nous ? » » raconte Sylvia Serbin.

Peu d’ouvrages sur l’histoire africaine vue à travers ses femmes

« Les gens comme nous », entendez les gens à la peau noire. En effet, à part spécialistes et exégètes, qui peut citer les noms de quelques figures africaines célèbres de l’histoire ? En librairie, avant la parution de ces trois livres, il n’existait pas d’ouvrage sur l’histoire africaine vue à travers ses femmes. En revanche, pléthore de livres sur l’esclavage et la colonisation…

Sylvia Serbin souhaiterait, d’abord, briser ces clichés tenaces qui entourent le continent comme autant de chaînes de fer : stérile, miséreux et qui n’aurait pas sa place dans le patrimoine historique. « On veut nous faire croire qu’une moitié du genre humain serait restée muette, inactive, transparente, tandis que l’autre partie s’affairait à combattre, à diriger, à construire, à protéger ! » déplore-t-elle.

Loin d’elle, pourtant, l’idée de faire un livre couleur soleil, où l’Afrique serait tout à coup devenue le paradis perdu. Sylvia Serbin se consacre aussi aux martyres, aux résistantes. Telle l’histoire de la Vénus hottentote, jeune Sud-Africaine devenue animal de foire parce qu’elle était, selon les critères des Blancs, anormalement fessue. On la montra dans des cirques, des zoos et, à sa mort, le zoologiste Georges Cuvier la disséqua et conserva ses parties génitales dans du formol…

RENDRE AU CONTINENT CE QUI APPARTIENT AU CONTINENT

Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire rend aussi au continent ce qui appartient au continent. Si l’on s’étonne que Néfertiti figure dans cet ouvrage de reconquête du patrimoine historique, elle qui est mondialement reconnue, l’auteur vous dira que ce n’est qu’un juste retour des choses. « Les Occidentaux s’intéressent à l’Égypte, ils ont même tendance à se l’approprier, comme si une culture aussi merveilleuse ne pouvait venir d’Afrique. Mais l’Égypte est un pays africain ! »

Sylvia Serbin n’oublie pas non plus les membres de la diaspora noire. Ainsi Solitude, Guadeloupéenne, esclave marronne, exécutée pour résistance en 1802. Dans ce beau récit, Serbin dresse le portrait d’une société antillaise où la ségrégation ne se définit pas en termes de Blancs ou de Noirs uniquement, mais de « petits Blancs », « grands Blancs », « gens de couleur », « nègres marrons »… Autre figure, Harriet Tubman, née dans une plantation de coton du Maryland (États-Unis) vers 1820. Après avoir fui la condition servile vers 1849, elle reviendra chercher sa soeur, sa belle-soeur et leurs deux enfants. Intégrée dans le Chemin de fer souterrain, un réseau clandestin d’évasion animé par des abolitionnistes, elle réussira à arracher plus de trois cents esclaves du Maryland.

Connaître sa propre histoire

Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire donne surtout, dans le débat actuel sur le devoir de mémoire, une assise historique sur laquelle tous les jeunes, africains ou d’origine africaine, peuvent s’appuyer, un tremplin à partir duquel s’envoler et s’épanouir. « Ils peuvent difficilement se construire une identité forte s’ils n’ont que l’esclavage et la colonisation comme patrimoine historique », souligne Sylvia.

Jacqueline Sorel, coauteur de Femmes de l’ombre et Grandes Royales dans la mémoire du continent africain, a aussi gardé en tête, tout au long de l’écriture de son livre, les jeunes. « Les jeunes Africains ne connaissent pas leur histoire, ils ne lisent pas beaucoup, mais quand on leur en parle, ça les intéresse. J’ai senti chez eux une soif de connaissances sur leur propre continent. » Cette ancienne journaliste de Radio France Internationale a pendant longtemps animé l’émission « Mémoire d’un continent ». C’est pour l’agence de presse MFI (Médias France Intercontinents) qu’elle commence à rédiger de petits textes sur les femmes africaines de l’Histoire. Si Jacqueline Sorel préfère résolument le romanesque, ses partis pris (qu’elle précise) sont ceux d’une conteuse : « Et c’est à partir de ce jour-là, racontent les anciens, que le Sahara a commencé à se transformer en désert et que le royaume du Wagadou s’est trouvé supplanté par l’ancien Ghana. »

Elle choisit même d’écrire une histoire qui est restée dans la mémoire collective, mais qui n’a pas de sources écrites, la légende de Sia Isabéré, la jeune sacrifiée (dans le Ghana du Xe siècle). Les textes sont courts, l’écriture souvent plus suggestive que descriptive. Comme un griot, elle utilise le « je », y allant même de son hypothèse personnelle à la fin d’une histoire.

Reines, résistantes ou mères nourricières, toutes à l’ombre de Lucy, « la gracile des origines », selon Jacqueline Sorel, ces femmes-là offrent un visage neuf à l’Afrique. Pourquoi donc ont-elles été oubliées au fil des années ? « À l’époque où le matriarcat était à son apogée en Afrique noire, la femme avait le pouvoir. Avec l’islam et le christianisme, le rôle politique lui a été retiré », avance Sylvia Serbin. Pour Jacqueline Sorel, aujourd’hui « on chante les héros. Les leaders politiques de la décolonisation, tous masculins, ont pris le pas sur les femmes. »

Au Mali, par exemple, Sylvia Serbin raconte qu’elle a ressenti une pudeur, voire une omerta sur le rôle de ces femmes dans l’Histoire. Comme si la mémoire populaire avait intégré le fait que cette Afrique mythique et combattante était révolue, a fortiori une Afrique portée par des femmes !

 

Natacha Appanah , Jeune Afrique

Leave a Reply

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *