VIH : « Il faut des campagnes de prévention ciblées à destination des populations migrantes »
INTERVIEW L’association Arcat et Checkpoint Paris publient ce mercredi un plaidoyer appelant à développer des campagnes ciblées de prévention du VIH, notamment à destination des populations migrantes
Les migrants, notamment nés en Afrique subsaharienne, représentent l’une des populations les plus exposées au VIH.
L’association Arcat et Checkpoint Paris, qui luttent contre le VIH, estiment qu’enrayer la maladie passe notamment par des campagnes de prévention ciblées, basées sur les principes de la santé communautaire.
Les deux structures, membres du Groupe SOS, publient ce mercredi un plaidoyer « pour changer d’échelle dans la lutte contre le VIH ».
En finir avec le sida d’ici à 2030, voici l’objectif fixé par l’ONUSIDA en 2010. Si, avec la démocratisation des traitements par trithérapie, la mortalité liée au virus a reculé ces dernières années, il y a chaque année encore des milliers de contaminations. Dans ces chiffres, les migrants représentent plus du quart (27 %) des nouveaux cas de VIH en Europe, et constituent à ce titre une population particulièrement importante en termes de santé publique.
C’est pour mettre en place une stratégie de prévention et de prise en charge efficace que Checkpoint Paris – un centre de dépistage et de bien-être sexuel dédié aux LGBTQI +- et l’association Arcat publient ce mercredi un plaidoyer pour « appeler à lutter contre les idées reçues et développer des campagnes de prévention ciblées, reposant sur des principes de santé communautaire », explique à 20 Minutes Nicolas Derche, directeur de l’Arcat, qui accompagne des personnes vivant avec le VIH en situation de grande précarité, notamment originaires de pays d’Afrique subsaharienne.
Avec ce plaidoyer, vous souhaitez battre en brèche une idée reçue tenace sur les migrants et le VIH. Pouvez-vous en dire plus ?
La population migrante est particulièrement exposée. Ainsi, parmi les nouveaux cas en France de contaminations au VIH chez les hétérosexuels en 2017, 75 % concernent des personnes nées à l’étranger, principalement en Afrique subsaharienne. Après les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH), c’est la deuxième population clé en termes de taux d’infection au VIH. Et comme ces migrants viennent de la région du monde la plus touchée par le VIH, l’idée d’une « maladie importée », d’une contamination prémigratoire, a longtemps eu cours et reste tenace encore aujourd’hui.
Pourtant, contrairement aux idées reçues, de récents travaux européens démontrent qu’une importante partie d’entre eux est contaminée après leur arrivée en Europe. Parmi les migrants nés en Afrique subsaharienne vivant avec le VIH en France, environ un homme sur deux et une femme sur trois ont été contaminés après leur arrivée dans le pays.
Comment l’expliquer ?
C’est surtout pendant la période de « pré-installation », lorsqu’ils n’ont ni logement, ni revenu propres, que les migrants sont les plus précaires, donc vulnérables. Or, cette période tend à s’allonger et peut durer jusqu’à sept ans après leur arrivée sur le sol français. Et les risques sont encore plus élevés chez les femmes. Lorsqu’elles traversent une année sans logement ni papiers sur notre sol, les migrantes ont huit fois plus de risques d’accepter un rapport sexuel en échange d’une aide ou d’un hébergement. Le rapport de force en leur défaveur rend difficile d’imposer le port du préservatif, et les rapports sexuels transactionnels constituent l’ultime ressource contre la grande précarité. Elles ont souvent eu un parcours de migration long et chaotique, jalonné de violence, et dans ce mode de vie centré sur la survie, la nécessité de se nourrir et se loger, l’attention portée à sa santé en général – et à sa santé sexuelle en particulier – n’est pas du tout une priorité.
En outre, la prévalence du VIH est également très élevée chez les femmes trans travailleuses du sexe : elle grimpe à 45 %.
Vous expliquez, dans le plaidoyer, que la prévention du VIH chez les migrants passe par des campagnes adaptées aux populations visées, « reposant sur les principes de la santé communautaire ». Qu’est-ce que c’est ?
A ce jour, en France, nous avons à disposition tous les outils biomédicaux pour atteindre l’objectif de zéro contamination d’ici à 2030 : préservatifs, test rapide d’ orientation diagnostique (TROD), et des centres de dépistage gratuit (CeGIDD). On a aussi la PrEP, un traitement préventif efficace. Et aujourd’hui, l’accès aux traitements par trithérapie est très large, et permet aux personnes vivant avec le VIH d’avoir une espérance de vie longue, avec une belle qualité de vie, et avec une efficacité telle qu’elles ne transmettent plus le virus à leurs partenaires.
Pourtant, des milliers de personnes sont encore contaminées chaque année. C’est pourquoi il est primordial de développer des programmes de prévention ciblés à destination des populations migrantes, reposant sur les principes de la santé communautaire. Il y a un véritable enjeu populationnel à agir en mettant en place une prévention diversifiée, car il n’existe pas un discours type de prévention du sida. Le travail n’est pas le même selon que l’on s’adresse à des membres de la communauté d’Afrique subsaharienne, de la communauté caribéenne, asiatique, d’Europe de l’Est ou encore à la communauté LGBTQI +.
Il faut tenir compte d’un ensemble de spécificités culturelles et sociales : quel est le rapport à la sexualité et au VIH des populations dans leur pays d’origine ? Comment y sont perçues et soignées les personnes vivant avec le VIH ? Quel est leur degré de précarité économique ?
Tous ces facteurs ont une incidence sur ces populations différentes et il faut en tenir compte dans notre manière de penser les campagnes de prévention les plus adaptées à chaque communauté. Il existe aujourd’hui des équipes de médiateurs en santé communautaire, composées de membres issus des communautés auprès desquels ils font de la prévention.
Mais cela résulte aussi d’une volonté politique. Enrayer le VIH chez les populations migrantes passe par un accès aux soins gratuits, une présence des médiateurs communautaires dans les hôpitaux, un développement de structures spécialement conçues, sur le même modèle par exemple de Checkpoint Paris, un CeGIDD pour les LGBTQI +. Mais aussi par des campagnes de sensibilisation au dépistage largement diffusées, pour infuser l’idée qu’ils doivent être fréquents chez les personnes à risque.
Ce plaidoyer, c’est pour opérer un changement d’échelle dans la lutte contre le VIH.