La migration sous ses différents aspects n’est pas qu’une affaire d’Etats

La migration sous ses différents aspects n’est pas qu’une affaire d’Etats

Dialogue 5+5 de la société civile à l’instar du Forum méditerranéen du même nom.

Les Etats des deux rives de la Méditerranée occidentale peuvent-ils dominer l’agenda politique sur la migration ? Ces pays possèdent-ils seuls le pouvoir de construire et de formuler le problème « migration » ? Qu’en est-il de la question des droits de l’Homme dans la construction et la formulation des politiques migratoires marquées par une gestion purement sécuritaire? Quels sont les place et rôle auxquels peut prétendre la société civile dans ce dialogue sur la migration entre le Nord et le Sud ? Comment les composantes de cette société civile arrivent-elles à s’imposer dans les négociations, la gouvernance et les instances relatives à la migration dans un contexte européen marqué par la peur et le scepticisme à l’égard des migrants et un contexte intermaghrébin marqué par un désaccord sur les politiques à conduire, et des divergences sur la politique de voisinage à mener pour dialoguer sur un pied d’égalité avec le partenaire européen sur la question de la mobilité de la population ?

C’est pour répondre à ces questions et à tant d’autres que le Dialogue 5+5 de la société civile a été créé comme cadre parallèle au Forum méditerranéen du “Dialogue 5+ 5” qui tente depuis près de trente ans de promouvoir la coopération régionale entre les dix pays de la partie occidentale de la Méditerranée (l’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal et Malte au Nord, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie au Sud).

L’objectif recherché est de réunir les acteurs clés de la société civile dans les pays de la Méditerranée occidentale afin d’échanger sur les opportunités et les défis rencontrés pour renforcer la protection des migrants et dynamiser leur apport au développement, dans un cadre d’action national et sous-régional en accord avec le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

En ouverture des travaux de cette première édition tenue le 29 novembre dernier à Agadir, Mohammed Charef, président de l’Observatoire régional des migrations, espaces et sociétés (ORMES), de l’Université Ibn Zohr d’Agadir et l’un des instigateurs de ce projet, a indiqué que le rôle de la société civile comme médiateur et passerelle est aujourd’hui plus que demandé afin de proposer des réponses aux principaux défis de la question migratoire en promouvant le respect, la protection et la réalisation des droits humains et en prévoyant la fourniture d’une assistance et de soins. « Quand la diplomatie montre ses limites, quand les intérêts partisans des Etats sapent les démarches communes, quand la faillite du système financier international montre la vanité du capitalisme débridé, il faut savoir faire confiance à ceux qui forment la substance et le but même des droits de l’Homme : les citoyens et la société civile », a-t-il précisé.

Ce rôle de la société civile est également des plus nécessaires dans un contexte où la fermeture des frontières est devenue la règle générale alimentée par un discours ultra-nationaliste qui se révèle particulièrement déterminante dans la formation de certaines opinions publiques qui considèrent l’immigration comme une menace, voire une invasion, et dans la formulation de politiques migratoires sécuritaires et coercitives qui donnent lieu à des discriminations, des mauvais traitements et parfois des violences.

En effet, les droits de l’Homme sont considérés, dans ce contexte, comme des obstacles à la lutte contre les migrations qu’il faut incontestablement restreindre au nom du principe selon lequel la fin justifie les moyens.

Pour Mohammed Charef, il est de plus en plus urgent et nécessaire d’accorder une attention particulière aux migrants et d’encourager la coopération internationale pour la mise en place de politiques respectueuses du droit international humanitaire des migrants telles que stipulées dans la CMW (Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles).

A ce propos, Unver Can, président du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles, a souligné le nombre très réduit des pays signataires de cette convention et de ceux qui l’ont ratifiée tout en précisant que les pays membres de cette convention hésitent encore à la mettre en pratique et trouvent des difficultés à l’inscrire dans leurs législations nationales. Pour eux, cette question doit plutôt être traitée dans un cadre national et non pas international.

Unver Can estime que l’approche sécuritaire est devenue le principal sujet et le paradigme dominant faisant des migrants des ennemis contre lesquels il faut lutter. D’après lui, la CMW demeure le seul instrument contraignant où les droits de l’Homme bénéficient d’une place spécifique. En effet, cette Convention ne crée pas de nouveaux droits pour les migrants mais vise à garantir l’égalité de traitement entre les migrants et les nationaux, ainsi que les mêmes conditions de travail. Elle innove en formulant l’idée fondamentale selon laquelle tous les migrants doivent avoir le droit à un minimum de protection. Elle reconnaît que les migrants en situation régulière ont un droit légitime à davantage de droits que les migrants en situation irrégulière, mais souligne que ces derniers ont droit au respect de leurs droits fondamentaux.

De son côté, Franck Camara, membre du syndicat ODT Immigrés, a ressuscité de nouveau le débat déclenché il y a une année sur la complémentarité/contradiction entre la CMW et le Pacte mondial. L’intervenant a jugé que ce dernier n’a pas de raison d’être puisque la CMW constitue un important traité international dans le domaine de la protection des droits des travailleurs migrants. « A quoi sert un nouveau texte de loi alors que beaucoup d’autres dont la CMW ne sont pas totalement entrés en vigueur ? », s’est-il interrogé.

Pour sa part, Idrissa Oumar Kane, conseiller en droits de l’Homme et secrétaire du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles, a indiqué que la gestion de la migration est une responsabilité partagée et qu’il ne faut pas incriminer les seules politiques des pays occidentaux. Pour lui, les Etats africains ne jouent pas leur rôle. Idem pour les institutions africaines comme l’UA.

« Si vous prenez le cas des dernières violences faites aux migrants en Afrique du Sud, la manière avec laquelle a été traitée cette crise en dit long sur la gestion du dossier de la migration en Afrique. En effet, aucune instance africaine ou Etat n’a jugé utile d’intervenir », a-t-il lancé.

Des propos que ne partage pas entièrement le représentant de la société civile belge qui pense que la question de la responsabilité reste discutable et plus compliquée vu la dette coloniale et les relations de déséquilibre entre le Nord et le Sud.

Pour sa part, Abderazzek Hajri, président de l’Association migration et développement, estime, à ce propos, qu’un travail sur nos sociétés s’impose. Un travail de proximité sur le vivre-ensemble et la lutte contre les préjugés et l’intolérance qui doit s’opérer, selon lui, dans les quartiers et les villes.
Abdelhak Harraga, président du COSIM Languedoc- Roussillon, a insisté, quant à lui, sur la nécessité et le rôle des savoirs scientifiques et de l’information fiables dans la construction des politiques relatives à la migration et dans l’orientation des décideurs politiques dans un contexte de fake news et fast-food médiatique. A ce propos, il a recommandé de lancer des passerelles entre le monde de la recherche scientifique et celui de la politique.

De son côté, Abdelfattah Ezzine, professeur et chercheur à l’IURS (Institut universitaire de la recherche scientifique), a appelé à entamer un vaste chantier, à savoir celui de la déconstruction du discours sur la migration qui reste, selon lui, purement occident-centré, en procédant à la redéfinition des concepts et à la remise en cause des paradigmes. Selon lui, le prisme occidental est fortement observé dans la manière avec laquelle l’image du migrant est construite (migrant faible, subsaharien, nègre…) et qui restreint une réalité plus compliquée, diverse et riche.

Une action conjointe et des objectifs partagés

Le Dialogue 5+5 est le plus ancien cadre de rencontre entre les pays du bassin méditerranéen. Il regroupe les pays de la Méditerranée occidentale, et a été instauré en 1990 à l’issue d’une réunion des ministres des Affaires étrangères tenue à Rome, avec l’objectif d’engager un processus de coopération régionale en Méditerranée occidentale entre les dix pays suivants : l’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal ainsi que Malte pour la rive Nord, et les cinq pays de l’Union du Maghreb arabe pour la rive Sud.

L’idée d’un forum sous régional a été conçue sous initiative française. Elle eut lieu dans un contexte changeant où la création de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) et l’évolution de la Communauté européenne ont fortement encouragé le dialogue politique entre les acteurs des deux régions. Cela fût perçu comme une opportunité pour élargir la coopération et traiter des sujets conjointement sur une base plus régulière.

Au départ, c’était un dialogue « 5+4 », Malte n’en faisait pas partie. L’Egypte avait tenté d’ y adhérer mais sa demande n’a pas abouti. La Belgique aussi. Elle avait sondé les pays membres arguant du fait qu’elle peut être considérée comme un pays proche car une partie de sa population est méditerranéenne (Italiens et Maghrébins). L’institution européenne n’était pas elle aussi impliquée dans ce dialogue.

Il a fallu attendre le premier « sommet » « 5+5 » à Tunis pour voir le président de la Commission européenne aux côtés de ses pairs de la Méditerranée occidentale. Il s’agissait de Romano Prodi qui avait été un des artisans de ce dialogue lorsqu’il présidait aux destinées de l’Italie. L’initiative a été relancée en 2001 après dix ans de suspension à la suite de la guerre du Golfe de 1991. En plus de la quasi-annuelle réunion des ministres des Affaires étrangères, érigée en pilier du Dialogue 5+5 depuis sa création, le forum s’est progressivement étendu à d’autres sphères, telles que la défense, les transports, la migration et l’éducation.

En 2010, lors de la réunion en Libye, le pays hôte ainsi que l’Italie ont plaidé pour un élargissement du dialogue à « 6+6 » en incluant la Grèce et l’Egypte. Les Sommets des chefs d’Etat et de gouvernement de Tunis en 2003 et de La Valette en 2012 ont donné de la visibilité publique et du soutien au forum, considéré comme un instrument utile par ses Etats membres.

Outre cela, le Dialogue 5+5 est devenu une initiative inclusive en impliquant des acteurs à plusieurs niveaux telles les institutions européennes et l’Union pour la Méditerranée, mais aussi en s’élargissant progressivement vers de nouveaux domaines de coopération tels que l’énergie renouvelable et l’environnement, la santé, l’éducation, la culture, le tourisme et l’eau, entre autres. Le Dialogue 5+5 a eu l’occasion de prouver plusieurs fois son utilité en garantissant la capacité des Etats membres du 5+5 de travailler conjointement pour atteindre des objectifs partagés ainsi que pour faire face à des menaces partagées. Il continuera de le faire dans les années à venir.

LIBE.ma

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