Livre : sang d’encre en Méditerranée

Livre : sang d’encre en Méditerranée

Dans un recueil de nouvelles édité chez Actes Sud, seize écrivains mettent en mots les maux de la migration.

C’est un livre de sang-mêlé. Un recueil de nouvelles qui lie le Nord, le Sud et l’Orient autour d’une matrice commune, la Méditerranée. Pont et frontière à la fois, vague qui vous porte ou vous enfouit selon que vous êtes voyageur de luxe ou migrant, la Méditerranée a donné envie à seize écrivains, dont sept Africains, de mettre en mots les maux de la migration.

L’Algérien Samir Toumi, le Franco-Congolais Wilfried N’Sondé ou l’Italo-Sénégalaise Aminata Aidara brossent là, aux côtés d’autres plumes africaines et du pourtour méditerranéen, cette « amère frontière » qu’ils ont éprouvée dans leur chair ou aperçue dans leurs songes. De leur stylo, ils ont laissé couler sur quelques pages un peu de ce sang noir que la tueuse liquide emprisonne dans ses bas-fonds, naufrage après naufrage. Le sang des milliers de morts de la Méditerranée. Mais le livre ne s’arrête pas là. Il veut raconter les mille facettes de ces passages entre l’Afrique, l’Europe et l’Orient. Ces voyages où certains laissent leur vie, d’autres leurs rêves, d’autres encore leurs racines.

Il dit le mal de vivre loin et l’impossible retour, ouvrant sur des angles d’ordinaire peu traités, comme le retour d’un cadavre rapatrié depuis la France. On croit le défunt marocain, il est tunisien ; mais de cela, tout le monde se moque bien. Juste une « erreur », une de plus. « A l’aller comme au retour je me suis trompé de destination », conclut la Tunisienne Fawzia Zouari, faisant parler le cadavre dans cette courte histoire baptisée Brûler. La France ne voulait pas de cet homme que la mort non plus ne ramène pas à bon port.

Et pourtant, celui qu’on rapatrie les pieds devant, grand déçu des lendemains désenchantés de la révolution tunisienne, ne cherchait pas grand-chose dans sa quête migratoire : juste « une vie à moi », explique-t-il, « un pays qui ne me pèse pas comme un lourd manteau ».

Mal identitaire

Lui au moins a voulu fuir, maître de son destin. Pas comme la Hawa d’Aminata Aidara. Elle, elle aurait bien aimé vivre au Mali. Cette professeure de Pilates perdue quelque part à Bruxelles raconte comment elle s’est retrouvée exfiltrée de sa terre natale sans l’avoir prémédité, juste pour avoir été engrossée par le fils de son patron. Douleur lancinante renforcée par le fait d’avoir laissé son enfant sur l’autre continent…
Une souffrance différente du mal identitaire que ressentent ceux qui changent de passeport, de peau, de nom à chaque nouvelle demande d’un visa pour la France.

Métamorphose imposée au paysan ivoirien devenu petit patron invité au salon du BTP le temps de décrocher le sésame du consulat… « Ces documents sont vrais, ce sont leurs histoires qui mentent », rappelle l’Ivoirien Gauz dans son texte baptisé Le Canonnier. Drôle d’aventure quand même que ce changement de nom, où le faux vrai et le vrai faux mènent la danse, à vous rendre fou.

Mais le recueil n’oublie pas que si la migration n’est jamais une partie de plaisir, elle inclut aussi une part de rêve ou, simplement, un espoir de « mieux » pour ceux qui partent volontairement. « L’essentiel est de changer de destin », insiste la narratrice de Fawzia Zouari, qui rappelle que même mal en point, au milieu des flots et des vents contraires « pendant que la plupart priaient, je me répétais que je n’avais pas peur de me noyer, vivre au pays était déjà une noyade ». Le mieux serait donc, là encore, ennemi du bien ?

 

LEMONDE.fr

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