Alexandra Poli : « En France, l’étude des migrations s’est constituée autour de la figure du travailleur immigré »

Alexandra Poli : « En France, l’étude des migrations s’est constituée autour de la figure du travailleur immigré »

Chercheuse au CNRS, la sociologue a codirigé « Les Migrations des Nords vers les Suds », un ouvrage qui analyse ces tendances et entend déconstruire la figure du migrant.

Les migrations provenant des pays du Nord vers les Etats du Sud représentent un angle mort de la sociologie. Pourtant, le phénomène ne cesse de croître : depuis dix ans, le nombre de Français installés à l’étranger, hors Europe, augmente en moyenne de 3,4 % par an. Entre 2000 et 2010, la présence portugaise en Afrique a grimpé de 42 %, et les Irlandais sont de plus en plus nombreux au Nigeria et en Afrique du Sud. L’ouvrage collectif Les Migrations des Nords vers les Suds (éd. Karthala, 238 pages, 20 euros), coordonné par Giulia Fabbiano, Michel Peraldi, Alexandra Poli et Liza Terrazzoni, analyse ces tendances et interroge la figure du migrant. Entretien avec Alexandra Poli, chercheuse au CNRS et membre du Centre d’étude des mouvements sociaux.

 

Vous expliquez, dans l’introduction, que l’étude des migrations Nord-Sud est perçue comme illégitime par la recherche sociologique. Pourquoi ?
Ces trajectoires nord-sud sont considérées comme des migrations non problématiques, ce qui désamorce l’intérêt sociologique. Les rares travaux autour des mobilités des Occidentaux dans les pays du Sud considèrent, en effet, ces populations comme privilégiées, car provenant de pays riches, par opposition à la figure du migrant économique. On est dans une définition structurelle des relations de pouvoir entre Etats du Nord et du Sud.

Au fond, le statut de migrant est lié à la nationalité et aux passeports possédés. Il faut également préciser qu’en France, le champ d’étude sur les migrations s’est constitué autour de la figure emblématique du travailleur immigré.

La question du privilège se pose néanmoins dans cette expérience de migration du Nord vers le Sud…
Il ne faut pas la négliger mais la nuancer à l’aune de ce que le privilège peut signifier à différentes échelles, du local au global. Les travaux réunis dans l’ouvrage montrent une grande hétérogénéité de profils qui vont du routard en Thaïlande à l’expatrié en Arabie saoudite, en passant par les hivernants, ces retraités français qui vont passer l’automne et l’hiver au Maroc dans des camping-cars, soucieux d’économies d’énergie et alimentaires. Il y a aussi le cas des seniors américains qui, lors de la crise économique de 2008, se sont massivement installés au Mexique et qui ont dû repartir faute d’avoir les moyens d’y vivre. L’installation au Sud de personnes venant du Nord ne garantit pas de vivre avec des privilèges.

 

LEMONDE.fr

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