Congo : du bon usage du digital

Avec de meilleures infrastructures et un cadre législatif modernisé, le numérique pourrait contribuer bien plus largement au PIB. Pour un État en quête de diversification et de nouvelles recettes, c’est le moment où jamais…

Sur la Corniche, au bord du fleuve Congo, de nombreux jeunes Brazzavillois se sont installés pour bénéficier d’une connexion wi-fi gratuite. La plupart ne sont pas là pour jouer ou pour « chatter » sur les réseaux sociaux, mais pour travailler. « Le taux de chômage est assez élevé, et de nombreux jeunes ont compris que le numérique est une voie par laquelle ils peuvent s’en sortir, trouver un emploi et créer leur entreprise », explique Lome Vuvu Masia, le directeur général de la Grande École numérique du Congo (Genc).

Depuis son ouverture, en janvier 2017, cette école privée sous convention avec le ministère de l’Enseignement technique et professionnel dispense gratuitement des cours de développement et d’intégration web sur ses campus de Brazzaville et de Pointe-Noire. Les formations durent quatre mois à temps plein, à raison de 20 élèves par session. En un an et demi, la Genc a formé environ 300 développeurs. Et ce n’est pas de trop pour répondre aux besoins des institutions et des entreprises en matière de gestion informatisée comme de services digitaux innovants et de qualité.

Un coup d’accélérateur

De Yekolab, incubateur et centre de formation aux technologies de l’information et de la communication (TIC) créé en 2014 au Salon international des technologies de l’information et de l’innovation (Osiane), organisé à Brazzaville, en avril, pour la deuxième année consécutive, les structures et manifestations destinées à « révéler » les talents du numérique se sont multipliées. Depuis cinq ans, l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques (ARPCE) enregistre chaque année en moyenne 24 créations d’entreprises actives dans le domaine des TIC – chiffre qui ne tient compte que du secteur formel.

Conscient de ce potentiel, le gouvernement mise plus que jamais sur le numérique pour diversifier l’économie, doper la création d’emplois, la compétitivité des entreprises, les investissements… Ce qui implique d’assurer un accès à internet, à très haut débit et à un prix raisonnable, de mettre en place un environnement technologique et un cadre législatif à même d’enclencher un essor rapide de l’entrepreneuriat numérique.

Depuis 2008, l’État a investi près de 263 milliards de F CFA (plus de 400 millions d’euros) dans les infrastructures, ce qui permet au pays de disposer aujourd’hui d’un réseau de fibre optique de 4700 km. Ce réseau a été développé à travers le Projet de couverture nationale en télécommunications (PCN, financé sur fonds propres) depuis la station d’atterrage du West African Cable System (WACS) de Matombi et dans le cadre du projet Central African Backbone (CAB 1 et 2).

La première phase du CAB, qui porte sur l’interconnexion des réseaux terrestres de fibre optique congolais et gabonais, s’est achevée en avril. Réalisée par le groupe de télécoms chinois Huawei sur un financement conjoint du gouvernement congolais et de la Banque mondiale de 30 millions de dollars, cette dorsale de fibre optique parcourt 504 km entre Pointe-Noire et Mbinda, à la frontière, puis se raccorde aux 1100 km de réseau gabonais, jusqu’à Libreville. Les travaux prévus dans le second volet du CAB, cofinancé par la Banque africaine de développement (BAD) et l’État congolais à hauteur de 77 millions de dollars, doivent commencer à la fin de cette année. Ils comprennent l’interconnexion du réseau congolais à ceux du Cameroun et de la Centrafrique d’ici à 2020 et la construction d’un centre national d’hébergement de données (datacenter).

NOUS SOMMES EN TRAIN DE METTRE EN PLACE UNE PLATEFORME AFIN QUE TOUTES LES TRANSACTIONS ÉLECTRONIQUES SOIENT TRACÉES ET TAXÉES

Avec de meilleures infrastructures et un cadre modernisé, la contribution de l’économie numérique au PIB du Congo, qui est de l’ordre de 4 %, devrait rapidement augmenter, surtout dans le secteur tertiaire, où les TIC occupent une place prépondérante.

Afin de donner un coup d’accélérateur au secteur, en mars, le ministre des Postes et Télécommunications, Léon Juste Ibombo, a dévoilé une stratégie nationale de développement de l’économie numérique (2018-2022) fondée sur trois piliers: l’e-gouvernement, l’e-citoyen et l’e-commerce. L’État compte aussi tirer des recettes du commerce numérique. « Avec le département des Finances et en partenariat avec un opérateur privé sud-africain, nous sommes en train de mettre en place une plateforme afin que toutes les transactions électroniques soient tracées et taxées », explique Léon Juste Ibombo. Le gouvernement est en train de finaliser l’arsenal juridique qui permettra de développer le secteur tout en protégeant le citoyen et les entreprises. Il a déjà reçu les avis de la Cour suprême pour un ensemble de projets de lois, notamment sur la protection des données à caractère personnel, les droits d’auteur, les droits voisins et les transactions électroniques.

Réseau étoilé

Pour le moment, les développeurs d’applications et les opérateurs qui se lancent dans l’e-commerce n’ont cependant pas la possibilité d’intégrer dans leurs outils des interfaces de programmation d’applications (plus connues sous le sigle API, pour « Applications Programming Interface »), ces logiciels qui permettent à des applications de communiquer entre elles pour s’échanger mutuellement des services ou des données, et donc à des opérateurs téléphoniques et à des banques de monétiser leurs solutions en se faisant rémunérer par téléphone ou par carte bancaire. Résultat: les règlements en espèces restent de mise. « De nombreux projets de start-up pourtant parvenus à maturité sont en difficulté, car les API ne leur sont pas ouvertes », déplore Alban Besse, le directeur général de Yekolab, incubateur soutenu par l’ARPCE. « Des négociations sont en cours avec cette dernière et avec Airtel afin que notre plateforme, Wapi Cash, soit mise en service en octobre. Elle permettra aux développeurs de connecter leurs solutions à un mode de paiement », indique Alban Besse.

ON S’ARRIME À LA MODERNITÉ ET ON S’ADAPTE, OU ALORS ON DISPARAÎT

Le gouvernement espère que l’économie numérique pourra aussi ressusciter la poste congolaise, dont le réseau s’est considérablement étiolé, passant de 111 bureaux en 1986 à 42 aujourd’hui. Grâce à un financement de la BAD, la Société des postes et de l’épargne du Congo (Sopeco) est en pleine restructuration. L’objectif est de la recentrer sur son rôle d’acheminement du courrier et de fournir un réseau digital pour la gestion des services postaux. « On s’arrime à la modernité et on s’adapte, ou alors on disparaît », assène Léon Juste Ibombo. Et d’ajouter avec satisfaction: « Aujourd’hui, nous rouvrons des bureaux de poste à travers le pays dans le cadre de partenariats public-privé avec des opérateurs comme MoneyGram. »

Accès limité, trop lent, trop cher

Si plus de la moitié du territoire congolais est désormais couvert par la Toile, avec une nette prédominance du téléphone mobile sur le fixe, le taux d’accès à internet y reste faible, aux alentours de 8 %. MTN et Airtel, les opérateurs privés, ont déboursé 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros) pour l’achat de licences 3G. Ils ont également investi dans les infrastructures, mais insuffisamment. Surtout, le coût des capacités (mégas) à l’international demeurant élevé pour ces opérateurs locaux, ils n’en achètent pas assez, et la qualité du service s’en ressent, avec de fréquentes congestions du réseau et des interruptions de service.

 

Rose-Marie Bouboutou , Jeune Afrique

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