Au Festival d’Essaouira, la culture gnaoua plus vivante que jamais

Members of the Bassekou Kouyate & Ngoni Ba band perform during the 17th edition of the Gnaoua World Music Festival in Essaouira June 15, 2014. REUTERS/Youssef Boudlal (MOROCCO – Tags: ENTERTAINMENT SOCIETY) – RTR3TY6D

 

La 21e édition du rendez-vous culturel et musical marocain a tenu ses promesses de métissage et de création.

Jeudi 21 juin, à Essaouira. Sur la place Moulay-Hassan, l’une des plus belles esplanades de la ville marocaine, entre le port et l’entrée de la médina, des techniciens s’affairent sur la grande scène et terminent leurs derniers ajustements, sous les cris des goélands et l’œil curieux de chats maigrelets. Dans quelques heures débute la 21e édition du Festival gnaoua et musiques du monde, qui s’est tenu jusqu’au 23 juin, et les ruelles de cette petite cité fortifiée se remplissent peu à peu.

Harnachés d’un sac de randonnée surmonté d’une tente, Taha et Nizar, 18 ans, sont partis de Marrakech en stop, tôt le matin, pour venir fêter la fin de leurs études à Essaouira. « On vient de passer le bac et on a décidé de commencer nos vacances par le Festival gnaoua. La programmation musicale est super, tout est gratuit, mais on vient surtout pour l’ambiance, car ici tout le monde est ensemble », expliquent-ils.

Comme eux, des milliers de jeunes Marocains viennent assister chaque année à ce festival qui met à l’honneur la culture gnaoua. En 2017, pour les 20 ans de l’événement, près de 300 000 personnes étaient venues au rendez-vous.

Un patrimoine importé par les esclaves

Deux heures avant le concert d’ouverture, l’avenue Oqba-Ben-Nafia, artère centrale de la médina, se transforme en forteresse bordée de barrières métalliques. Sur les trottoirs et les terrasses des restaurants, la foule attend avec impatience la parade des confréries gnaoua. Les maalem, les chefs des différentes troupes, encadrés de leurs choristes et percussionnistes, défilent au rythme des tambours et des qraqeb (sorte de castagnettes en métal), sous les acclamations. Le festival peut commencer.

Longtemps marginalisés, cantonnés à leur rôle spirituel, les gnaoua se produisent désormais devant des dizaines de milliers de personnes. Mais si leur musique a acquis une reconnaissance internationale, leurs rituels aux vertus thérapeutiques restent au cœur de la tradition et se pratiquent encore à Essaouira, dans l’intimité des zaouïa, les confréries religieuses.

« Je me rappelle de cette époque où nous étions confinés dans des maisons pour les cérémonies. Avant, beaucoup de Marocains ne connaissaient pas les gnaoua. Ils nous voyaient comme des hommes de la rue. Le festival a montré notre musique au public marocain et au monde. Les maalem sont devenus des artistes reconnus, ils ont fait de leur musique un métier », explique Abdeslam Alikkane, maalem originaire d’Essaouira et directeur artistique du festival.

Difficile de retracer avec précision l’origine exacte de la culture gnaoua, mais ce patrimoine musical aurait été importé par les esclaves capturés au sud du Sahara. Un héritage que de nombreuses confréries revendiquent dans les paroles de leurs chants.

Si cette année Hamid El-Kasri, 57 ans, une légende du genre, a ouvert les festivités sur la scène Moulay-Hassan pour un concert « fusion » avec le groupe américain Snarky Puppy, cette édition 2018 a été marquée par la présence d’une nouvelle génération de maalem, preuve que ce style musical se renouvelle et séduit les jeunes.

La popularité du festival vient en réalité du chemin emprunté par Neila Tazi, sa directrice, qui a su exploiter une voie ouverte par les stars du jazz et du rock des années 1970. Jimi Hendrix, Robert Plant (le chanteur de Led Zeppelin) ou encore Randy Weston sont venus à Essaouira se frotter aux musiciens locaux ; leurs expériences communes ont contribué à attirer les regards extérieurs vers la ville et sa culture.

La ville ne dort jamais

Le deuxième soir, la foule est encore plus dense. Vu depuis les terrasses qui surplombent la place Moulay-Hassan, le public forme une masse sombre et compacte qui ondule au rythme de la musique comme la surface d’un lac sous des rafales de vent. Les phénomènes de la soirée s’appellent Asmaa Hamzaoui et Fatoumata Diawara.

Originaire d’Essaouira, Asmaa Hamzaoui, l’une des rares femmes maalem, joue pour la première fois sur la grande scène du festival qui l’a révélée, devant des dizaines de milliers de spectateurs. La soirée connaît son apothéose lorsque, à 3 heures du matin, la Malienne Fatoumata Diawara la rejoint sur scène.

Pendant le festival, Essaouira ne dort jamais. La grande scène tire ses rideaux, mais dans les ruelles et dans certains riads, des groupes amateurs gardent la ville éveillée jusqu’à ce que les festivaliers s’en emparent de nouveau au petit jour. Des scènes plus intimistes proposent des concerts pour initiés et mélomanes avides de pénétrer plus en profondeur l’univers gnaoua. Cependant, le festival n’est pas que musical. Tous les jours, des tables rondes sont organisées en différents lieux.

« Nous avons rapidement pris conscience qu’il fallait aller au-delà d’un rendez-vous musical et œuvrer à la préservation du patrimoine gnaoua. Notre objectif est aussi de préserver et de perpétuer cette tradition orale », explique Neila Tazi, qui espère que l’art gnaoua sera inscrit en 2019 sur la liste du patrimoine oral et immatériel de l’humanité de l’Unesco.

Le festival, qui s’est clos samedi par un concert fusionnant les univers du jeune maalem Houssam Guinea, du saxophoniste Shabaka Hutchings, du batteur Karim Ziad et du guitariste Nguyen Le, aura incarné, cette année encore, cette capacité d’adaptation et d’ouverture à l’autre.

 

Emile Costard , Le Monde

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