Africa 4 Tech, un sommet à Marrakech pour l’innovation du continent

Plus de 150 innovateurs, chercheurs, entrepreneurs et « hackers » se retrouvent du 2 au 4 novembre au Maroc sur les thèmes de la santé, de l’agriculture, de l’énergie et de l’éducation.

Comment réparer une pompe à eau avec des imprimantes 3D ? Comment accompagner la reforestation des zones frontalières grâce aux drones ? C’est un véritable sommet de l’innovation numérique et technologique au profit du développement humain sur le continent africain qui se tient à Marrakech du 2 au 4 novembre, en prélude à la COP22, qui aura lieu dans la même ville marocaine la semaine suivante. Le bootcamp (camp d’entraînement, de survie) Africa 4 Tech, dont Le Monde Afrique est partenaire, a pour ambition d’éclairer les enjeux du numérique en Afrique en matière d’éducation, de santé, d’énergie et d’agriculture. Parmi ses 150 invités, on trouve Juliana Rotich, cofondatrice de Ushahidi au Kenya et directrice exécutive de BRCK. org, Ralph Simon, fondateur de Mobilium Global, ou Rachid Yazami, scientifique marocain et inventeur de l’anode graphique pour les batteries lithium-ion. Entretien avec Stéphan-Eloïse Gras, cofondatrice et directrice d’Africa 4 Tech.

Pas une semaine ne se passe sans une conférence sur la « tech » africaine. Quelles sont les spécificités d’Africa 4 Tech ?

Stéphan-Eloïse Gras Africa 4 Tech, que j’ai cofondé avec Gilles Babinet, est une plateforme de talents et un réseau international d’entrepreneurs, scientifiques, développeurs, chercheurs, etc. Notre premier événement prend la forme d’un séminaire intensif de formation de deux jours qui réunit des innovateurs africains, européens, américains ou indiens pour les amener à se pencher très concrètement sur les solutions qui émergent localement, sur tout le continent, dans les secteurs de la santé, l’énergie, l’agriculture et de l’éducation.

Depuis quelques années, on voit foisonner les événements qui célèbrent l’énergie entrepreneuriale africaine – CEO Forum, GEN, Demo Africa, les Rencontres AfricaFrance, entre autres –, ou bien de plus petits dédiés aux start-up. Notre ambition est d’être le trait d’union entre des manifestations soit très « corporate », soit très liées au monde numérique, et d’y ajouter un regard scientifique afin d’accélérer l’internationalisation de ces innovations et, dans le même temps, d’« africaniser » les modèles d’innovation.

Notre idée, c’est que l’innovation africaine qui a émergé ces dix dernières années, dans toute sa diversité, est probablement le modèle du monde qui vient : elle est frugale (elle part de rien, avec des matériaux low tech), mobile (c’est le fameux leapfrog ou « saut technologique »), agile (elle répond à des urgences dans un cadre contraignant). Surtout, elle mobilise des communautés entières, sous la pression démographique et de la création d’emploi, face à des modèles ultra concurrentiels qui valorisent les initiatives individuelles.

La « tech » africaine foisonne d’idées et d’innovations, mais qu’a-t-elle produit de majeur depuis M-Pesa au Kenya ?

M-Pesa a montré que l’innovation pouvait se passer de grandes infrastructures en général, et bancaires en particulier. En facilitant le paiement par mobile, il a permis à plus de 26 millions de Kényans d’accéder au paiement électronique sans passer par la case bancarisation. Il est d’ailleurs déclaré principal moteur de croissance inclusive par la Banque mondiale. Depuis, les solutions s’appuyant sur le « pay as you go » (M-Kopa pour le solaire, Paygo Energy pour le gaz) se sont répandues, montrant la force du mobile et des technologies basse fréquence, face à l’obsession occidentale pour le high-tech et des modèles très sophistiqués d’innovation.

D’autres innovations mobiles ont vu le jour dans le domaine de la santé (répertoriées entre autres dans la base de données de la Fondation Pierre-Fabre), l’éducation (BRCK), l’agriculture (M-Farm). Dans la continuité du leapfrog, je crois que les prochaines grandes innovations sociétales africaines viendront surtout des nouvelles formes de mobilité : Internet des objets et drones, notamment dans l’agriculture, la 5G pour l’éducation et les médias, les transports propres et en particulier solaires. Regardez la flotte de bus solaire de Kampala ou les bus équipés de 5G au Rwanda : nous y travaillerons pendant le bootcamp avec l’Open Lab de Michelin.

Pour passer à l’échelle supérieure, faire la différence, qu’est-ce qui manque le plus : l’argent ou les idées ?

Ni l’un ni l’autre… Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est surtout des talents éduqués ayant accès aux réseaux internationaux susceptibles de pérenniser leurs modèles d’affaires et conscients de l’impact de leurs innovations ; des clusters et des laboratoires d’innovation d’envergure, et des réseaux de mentors pour tirer tout cela vers le haut. Le « taux de mortalité » très important des start-up africaines peut être réduit par l’afflux de capitaux à l’amorçage, une meilleure inclusion financière par le biais de politiques dédiées aux jeunes entreprises, mais aussi par des formations d’excellence et de plus grandes exigences en termes de gouvernance.

En préparant Africa 4 tech, avez-vous noté des différences entre les pays anglophones et francophones d’Afrique ?

La capacité à se projeter dans l’incertitude semble mieux tolérée dans les cultures anglophones. On l’a vu dans les entretiens que nous avons fait passer pour notre Young African Innovators program, comme avec notre réseau de « connecteurs », dont les plus actifs sont à Nairobi, à Lagos ou à Johannesburg. Mais les plateformes francophones ont elles aussi émergé ces dernières années, grâce au travail de réseaux et d’espaces comme Jokkolabs. Nous avons reçu des profils formidables de Dakar, d’Abidjan ou de Casablanca, tirés par des diasporas dynamiques, d’assez bons niveaux d’enseignement supérieur (notamment en mathématiques ou en sciences de l’ingénieur), et des politiques volontaristes. Enfin, on a vu également émerger des formes d’innovations très qualitatives et très proches des makerspaces et hackerspaces dans des territoires hors réseau et open source au Cameroun, au Togo, en Tanzanie.

La notion de « hacker » revient souvent dans la littérature de la « tech » africaine. Est-ce à dire que le continent va « hacker » son développement ?

Africa 4 Tech met l’accent sur le « faire » et le « comment » des innovations africaines, dans un esprit assez proche des mouvements « makers », avec l’organisation de douze ateliers simultanés qui traitent de questions concrètes : comment réparer une pompe à eau agricole avec des imprimantes 3D ? Comment assurer un accès à une éducation qualitative et égalitaire dans des régions rurales grâce aux « box » et au mobile ? Comment accompagner le traitement de la drépanocytose ou de maladies plus récentes sur place comme le diabète avec la technologie mobile ? Comment suivre la reforestation des zones frontalières grâce aux drones ?

Si, en Occident, les communautés de hackers sont souvent assez proches des réseaux informels et d’une pensée anti-institutionnelle, en Afrique, l’enjeu n’est pas seulement de « hacker » le système formel, mais aussi d’accompagner la formalisation de systèmes spontanés. Dès lors, sur le continent, l’idée que « code is law » (« le code, c’est la loi ») prend une tout autre signification.

 

Serge Miche , Le monde

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